TICEMED 14 (Le Caire) Digitalisation des pratiques en éducation :risques, valeurs et opportunités
Dans une lettre ouverte parue le 22 mars 2023[1], un des hommes les plus influents de la planète, Elon Musk et un groupe d’experts en intelligence artificielle (IA) réclament une suspension de six mois des recherches de systèmes plus puissants que ChatGpt 4, en évoquant des risques sociaux et humains potentiels (Future of Life, 2023, Piquard, 2023). Dans le domaine éducatif, comme ailleurs, les craintes sont effectivement nombreuses quant à l’usage de cette technologie. Parmi les questions que soulève l'IA figure, par exemple, celle de l'inclusion citoyenne dans un monde algorithmique, invitant à intégrer cette réflexion dans une éducation aux médias renouvelée (Labelle, 2020). De manière générale, ce monde semble échapper au contrôle des processus décisionnels démocratiques traditionnels, couplé à un risque d’addiction aux écrans souligné par de nombreux spécialistes (Desmurget, 2019) mais également nuancé par d’autres (Cordier et Erhel, 2023). Une simple introspection suffit en effet à relever le temps passé par tout un chacun sur les smartphones, les plateformes de vidéos en ligne, les objets connectés et nos ordinateurs, exploitant abondamment les mécanismes de l’IA.
Dans ce contexte, le risque d'« algocratie » est rampant, (Danaher, 2016 ; Bersini, 2023). En outre, la question de l’IA apparaît transversale dans ses enjeux sociaux : économiques, industriels, juridiques, éducatifs, éthiques et politiques (Direction du numérique pour l’éducation, 2023) . Comme indiqué dans la loi européenne sur l'intelligence artificielle (2021/0106 (COD) - 21/04/2021) « Face à la rapidité des avancées technologiques dans le domaine de l’IA, et dans un contexte politique mondial où de plus en plus de pays investissent massivement dans l’IA, les membres de l’UE doivent agir de concert pour exploiter les nombreuses possibilités offertes par cette technologie, ainsi que pour relever, d’une manière qui soit adaptée aux évolutions futures, les défis qu’elle pose. Depuis le lancement en avril 2018 de la stratégie européenne en matière d’IA , la politique en deux volets de la Commission consiste à faire de l’UE un pôle mondial de l’IA tout en veillant à ce que l’IA soit centrée sur l’humain et digne de confiance[2]». La question n’est cependant pas réservée à l’Union Européenne et doit être envisagée de façon globale et concertée.
La 14ème édition du colloque international Ticemed[3] invite ainsi les chercheurs en sciences de l’information et de la communication et en sciences de l’éducation et de la formation à nouer un dialogue avec leurs pairs en informatique, selon des regards croisés Nord-Sud. La vocation de Ticemed sera d’interroger les risques et opportunités à l’heure d’une digitalisation croissante des pratiques en éducation, selon un angle technologique, éthique et/ou culturel. Elle invitera les participants à s’exprimer sur différentes thématiques, en proposant des approches épistémologiques et méthodologiques variées autour de questions d’actualité et en questionnant les rapports entre technologie et éducation dans une perspective critique. Ainsi pourront-être interrogées différentes technologies de pointe utilisées en éducation dans une perspective de développement vertueux et éthique, mais aussi critique : robotique, intelligence artificielle, interaction homme-machine, simulations, réalité virtuelle, jumeaux numériques, dispositifs nomades ou encore traitement automatique du langage naturel...
Dès lors, il semble important de déterminer comment ces outils peuvent être introduits de façon pertinente dans les pratiques pédagogiques actuelles, et dans quelle mesure ils peuvent favoriser un apprentissage actif, un enseignement personnalisé, ou encore favoriser la collaboration et l'engagement des élèves. Ils interrogent également la façon dont les évaluations peuvent être menées et l’évolution du rôle des enseignants dans la relation pédagogique. Finalement, à quelles conditions l’usage de ces technologies est-il pertinent dans un cadre éducatif ? Quelles limites et quels risques rencontrent-elles ? Quelles perspectives et opportunités offrent-elles ? Ces questions liées à l’usage des technologies en contexte pédagogique invitent plus que jamais à des réflexions éthiques, qui seront au cœur de cette 14ème édition du colloque. La notion de responsabilité nécessite d’être qualifiée en termes pédagogiques.
Face aux évolutions comme la généralisation des campus et environnements d’enseignement ou d’apprentissage numériques, les enseignants doivent également reconstruire une identité et une déontologie professionnelles propre à l’usage d’un nouveau cadre de pratiques (Develay et al., 2006 ; Massou, 2021). Ces évolutions peuvent conduire à des risques psychosociaux liés à la perte de sens au travail ou à des conflits éthiques (Coutrot et Perez, 2022). Par conséquent, elles invitent à un nouvel accompagnement dans la formation. En outre, les enjeux climatiques mettent également les acteurs de l’éducation en tension, pris entre incitation au numérique et injonction à la sobriété numérique (Boboc et Metzger, 2023). L’orientation vers un environnement numérique plus responsable, résilient, ouvert, low tech et maîtrisé nécessite également une transformation technique, organisationnelle et culturelle. L'émancipation sociale et civique nécessaire pour accompagner ces changements ne peut raisonnablement être envisagée sans la participation du système d'éducation et de formation professionnelle, sous tutelle institutionnelle et politique. Il est également nécessaire d'analyser ces pratiques d’apprentissage avec le numérique dans et hors du temps scolaire, et leur impact sur l’évolution potentielle de la forme scolaire ou universitaire (Peltier et al., 2022). Nous pouvons enfin faire l'hypothèse que, malgré son empreinte carbone croissante, l'idée d'innovation pédagogique par le numérique peut donner du sens à l'éco-citoyenneté et contribuer à l'émancipation numérique des citoyens en augmentant leur capacité d'action (Céci et al., 2023), tout en favorisant une posture éthique chez l’ensemble des acteurs impliqués dans une situation éducative.
Enfin, le lieu d’accueil de cette 14ème édition invite à réfléchir aux potentialités offertes par le numérique lorsqu’il s’agit d’éducation culturelle ou d’enseignement de l’histoire. La culture patrimoniale de chaque pays comprend des œuvres d'art, des monuments, des livres, des bibliothèques et des manuscrits anciens. Tous ces objets doivent être préservés contre les catastrophes naturelles, les guerres, le vandalisme artistique, le changement climatique et l'ignorance religieuse. Pour ces raisons, les gouvernements et les organisations internationales telles que l'Unesco soutiennent le patrimoine numérique, comme en témoigne par exemple la Charte sur la conservation du patrimoine numérique[4]. De plus, le patrimoine numérique permet l'accessibilité virtuelle des sites archéologiques indisponibles. En quoi les technologies numériques servent-elles des intérêts éducatifs et pédagogiques lorsqu’il s’agit d’appréhender un patrimoine dans un contexte scolaire ?
Trois axes thématiques majeurs sont ainsi proposés pour une contribution au prochain colloque Ticemed qui se tiendra au Caire (Université Française d’Égypte) du 15 au 17 octobre 2024 :
1/ L'intégration des technologies en éducation ; 2/ L’usage éthique du numérique en éducation ; 3/ La médiation numérique, patrimoniale et culturelle en contexte académique.
L’ensemble de ces thèmes (déclinés ci-dessous) vise à interroger des pratiques pédagogiques potentiellement innovantes tout en cherchant à résoudre les tensions induites par ces nouveaux usages. Il peut s'agir de développer une réflexion sur le numérique (dans une visée heuristique), pour le numérique (dans une visée transformatrice), par et avec le numérique (en développant le pouvoir d'agir). Ticemed 14 cherchera en particulier à contribuer aux réflexions menées sur un usage critique du numérique en éducation, selon une visée émancipatrice. [1] Pause Giant AI Experiments: An Open Letter, Future of Life Institute. 22 mars 2023. https://futureoflife.org/open-letter/pause-giant-ai-experiments/ [2] A ce propos, voir la communication en ligne de la Commission au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : “Favoriser une approche européenne en matière d'intelligence artificielle” : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52021DC0205&from=FR. [3] Ticemed est une association à but non lucratif basée à l’Université de Toulon (France) https://www.ticemed.eu/. Depuis 2003, son colloque bisannuel fournit un cadre aux réflexions portant sur l’intégration du numérique dans l’enseignement, dans des contextes éducatifs variés au sein de la francophonie et du pourtour méditerranéen (voir dernières éditions : Bonfils et al., 2020 ; Remond et al., 2021). [4] Charte de l’Unesco sur la conservation du patrimoine numérique, 2009, UNESCO. En ligne : https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000179529_fre.locale=fr
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